• Chapitre 2 : Monsieur Duncan toujours

         Quand on passe la nuit suspendu par les bras dans une cage d’ascenseur, on apprécie d’avoir une IA branchée sous le crâne. Pas besoin de regarder sa montre pour savoir l’heure qu’il est. La machine, insensible à l’ennui, égrène les secondes comme le fait un ordinateur.
         La perception du temps de Monsieur Duncan n’est plus la même depuis la greffe. Qu’il s’amuse ou non, le temps s'écoule désormais à la même vitesse pour lui. De toute façon, il ne s’ennuie jamais. La puissance de calcul de la machine est telle qu’il peut s’enfoncer dans ses pensée avec une capacité d’imagination que peu de personnes peuvent concevoir.

         Il est l’heure ! Les femmes de ménage ont depuis longtemps quitté le bâtiment. Il ne reste plus que les gardes. Dehors, les rues sont désertes, il fait bien trop froid pour déambuler dans la ville. Si malgré tout quelqu’un se baladait dans les parages du musée il est peu probable qu'il aperçoive quelque chose : la météo a été suffisamment conciliante pour annoncer quelques chutes de neige, et la visibilité sera plus que médiocre. Personne ne verra la fumée. Il faudra attendre que les flammes percent le toit pour que quelqu’un puisse se rendre compte de quoi que ce soit.
         Les gardes mettent en moyenne vingt-cinq minutes pour faire une ronde. Puis ils restent ensemble cinq minutes pour aller jusqu’à la demi-heure et un nouveau garde part à son tour pendant que ses deux collègues s’installent face aux écrans de surveillance.
         En ce moment même, l’un d’eux quitte la petite salle de surveillance au dernier étage et entame son circuit habituel. Leur rituel est immuable. Pour ne pas trop se fatiguer ils empruntent les escaliers pour descendre et remontent par les ascenseurs.
         Première chose à faire : mettre la machinerie des ascenseurs en panne. Monsieur Duncan tire sur ses bras, se hisse le long des câbles qui pendent dans le réduit de la cage et grimpe jusqu’au sommet. Là il atteint le boîtier de contrôle. En quelques secondes il en crochète la serrure. Le temps de dénuder quelques fils et les cabines entament leur plongée vers le deuxième sous-sol. Une descente dont elles ne remonteront pas. Sur le toit, les charges incendiaires sont déjà en place, prêtes à s’enflammer dès que la télécommande de monsieur Duncan leur en donnera le signal. Rien de tel qu’une cage d’ascenseur pour faire partir un feu. Cela fait naturellement une grande cheminée tout le long du bâtiment.
         Monsieur Duncan relie quelques câbles à un des petits appareils qu'il a sorti de ses poches. En quelques secondes à peine, il prend le contrôle de l'ouverture des portes. Il lui suffira d'une simple pression sur une télécommande pour que, sur chaque palier, les entrées des cages d'ascenseurs s'ouvrent simultanément. Le brasier aura ainsi champ libre pour se répandre à chaque étage. L'incendie sera incontrôlable.
         Pour améliorer les chances de réussite, d’autre charges incendiaires ont été placées sur toute la hauteur du trajet du feu. Celles-ci ne sont pas télécommandées mais s’allumeront quand les flammes les atteindront. Elles amplifieront ainsi le processus.
         Au sommet de cette longue cheminée, une ouverture permet d'accéder à la machinerie. Une petite faille de plus dans le système de sécurité. Une lourde porte bloque l’accès mais la serrure est assez simple. Elle grince bien un peu quand le cyborg l’ouvre, mais le bruit ne semble pas porter trop loin.
         L’esplanade qui coiffe le bâtiment est gravillonnée. Ca semble toujours étrange une telle surface plane, morte et déserte au cœur d’une ville surpeuplée. C'est du gâchis. On devrait y faire pousser des arbres; ça donnerait l’impression que les immeubles ont jailli du sol et  ont emmené avec eux un bout de forêt taillé à l’emporte-pièce.
         A travers le brouillard on discerne une luminescence au milieu de la grande dalle qui recouvre l’édifice. Lorsque il s’en approche, les contours d’un puits de lumière se dévoilent peu à peu à ses yeux.
          C’est une petite structure géométrique en volume, une sorte de prisme fait de carreaux de verre. Petite économie d’énergie faite pour alimenter en lumière le central de sécurité pendant la journée. Il parait que la lumière du jour aide les agent à rester alertes.
    En tout cas, ça permet un angle de tir idéal sur les gardes en question. Un débutant arriverait à les tirer comme des lapins.
         Monsieur Duncan dépose au sol sa gabardine et l’étale avec grand soin. Le froid mordant lui hérisse le poil. Un peu de neige s’est entassé dans les angles et dans les anfractuosités du toit. De nouveaux flocons commencent à poindre, d’ici peu ils tomberont sans discontinuer.
         Une combinaison moulante et noire recouvre le torse du cyborg. Elle retient aussi bien qu’elle le peut ses chairs flasques. Malgré son apparence grotesque, sa démarche et ses gestes sont toniques..
         Des poches de l’ample vêtement étalé sur le sol, il sort différents objets qu’il répartit selon un protocole précis. Un petit sac à dos, deux bombes de mousse aérosol blanches ne comportant qu’un numéro de série. Quelques instruments coupants enveloppés dans un emballage stérile. Certains couteaux rappellent plus du matériel de boucherie que celui d’un chirurgien. Différents appareils qui évoquent des armes auxquelles on aurait oublié de prévoir un manche. D’autres objets, sous emballages stériles eux aussi, restent impossibles à identifier. Des sangles complètent cet attirail. Mû par l’habitude, il applique du maquillage noir sur son visage en larges traits ondulants.
         D’un geste précis, à l’aide d’un des bistouris, il entaille son avant-bras droit jusqu’à l’os de métal qui renvoie quelques reflets dans la maigre lumière. Il insère dans la plaie l’une des armes sans manche qui, après un clic sonore, se solidarise à son anatomie. De sa main gauche il vaporise le sanglant appareillage d’une couche de mousse issue de la bombe aérosol. La mousse rosit doucement de l’intérieur et le saignement cesse.
         La même opération est effectuée sur le bras gauche. Pas un froncement de sourcil, pas une grimace, ne viennent perturber le flegme olympique qu’il affiche alors qu’il se mutile de la sorte.
         Une fois l’opération effectuée, il emballe l’ensemble des affaires dans le sac à dos à l’exception d’un petit rouleau de plastique qu’il prend à la main. Il le déroule en une feuille fine et transparente qu’il colle discrètement sur la vitre qui surplombe la salle de surveillance. Le gravier crisse doucement sous ses pieds, l’obligeant à se mouvoir avec une infinie lenteur afin de ne pas se faire remarquer. Après avoir pris position, il arme le mécanisme fixé à son bras droit, le dirige dans la direction des gardiens, et tire. Quatre petits coups secs se font entendre. Pas de détonation sonore ni de recul visible. Dans le verre, quatre petits trous à peine étoilés sont percés. En contrebas, deux gardes s’écroulent. Chacun percé de part en part par un projectile fusiforme. Le poison fulgurant fait son œuvre bien avant les blessures qui auraient de toute façon été mortelles.
         Une pression du doigt sur la télécommande qui se blottit au fond de sa poche et les ascenseurs tombent définitivement en panne.
         Par les orifices pratiqués dans le verre, il fait pénétrer dans la pièce un long filament flexible issu d’un des mécanismes fixés à ses avant-bras. Ce dernier ondule et se cabre afin de venir se fixer à un câble électrique qui longe l’ensemble du puits de lumière. Un petit éclair se décharge alors depuis l’extrémité du filament. Le système anti-intrusion est hors service. A coups de pied, la vitre est finalement achevée et monsieur Duncan pénètre alors dans le local.

         Sur le sol les flaques de sang humides et chaudes des deux gardes se sont rencontrées et grandissent de conserve. Elles vont bientôt cesser de s’étendre. Sans le travail du cœur, le sang coule bien moins que ce que la plupart des gens peuvent penser.
    Des talkie-walkie pendus à leurs ceintures la voix du troisième garde surgit :
       
         « Greg ? Bob ? Vous m’entendez ? Faites pas les andouilles. Je remonte à pied. Vous avez contacté la maintenance pour les ascenseurs ? Greg ? Bande d’andouilles vous m’entendez ? Coupez votre putain de musique. Vous devez pouvoir m’entendre quand je vous appelle. Ils entendent rien ces cons. Un de ces jours ils vont se faire… »

         En comptant les deux sous-sols, cela fait dix étages à grimper pour le pauvre homme. A son arrivée il ne sera ni frais ni réactif. Pas de chance pour lui. Pour qu’il ne se doute de rien, le son du poste de radio est poussé un peu plus fort. Mieux vaut ne pas le mettre en alerte en lui offrant un silence auquel il ne s’attend pas.
         En attendant son arrivée, le standard téléphonique est mis hors ligne. Les vidéos de la journée sont purgées. Autant éviter de laisser des traces inutiles. Les incendies sont ravageurs mais laissent parfois miraculeusement des choses indemnes.
         Les gardes côté usine ne sont pas en contact constant avec ceux du musée.  Le central n’est contacté qu’en cas de problème. Un habile système de management les a propulsés au rang de chef pour leurs collègues plus anciens qui travaillaient déjà côté usine. Une fronde côté usine avait même éclaté quand il avait été question que l’équipe de télésurveillance supervise leur travail. Depuis les rapports entre les gardes des deux bâtiments sont assez tendus.
         Pas compliqué de collecter toutes ces informations. Il suffit de mettre quelques micros dans les plantes vertes des cafés du coin. Puis on laisse son IA écouter simultanément tout ça, faire le tri dans les conversations et assembler les morceaux. De cette manière, on finit par en savoir plus sur la vie d’une entreprise qu’on n’en aurait appris en torturant la moitié du personnel.
         Monsieur Duncan sait, par exemple, que le dernier garde est Fred. Vu que les deux morts sont Bob et Greg, c’est évident. Ces trois-là font le même roulement. Les autres gardes les appellent les quatre fantastiques pour une raison qui reste à déterminer. Surnom d’autant plus étrange qu’ils ne sont que trois. Mais bon…
         Le dénommé Fred finit par surgir sur le palier, précédé d'une quinzaine de centimètres par son ventre. Essoufflé et suant comme un bœuf, il se dirige d’un pas décidé vers le local bruyant, visiblement mécontent. En ouvrant la porte il découvre le macabre spectacle de ses collègues étendus par terre. Dans un mouvement de réflexe il se retourne pour voir si l’agresseur est toujours là. Mauvaise idée. S’il avait plongé aussitôt il aurait peut-être esquivé les deux projectiles. Le troisième garde s’écroule sur les corps de ses collègues.
         D’une pression sur un des boutons de sa télécommande, monsieur Duncan déclenche l’ouverture des portes des ascenseurs. Sur chaque palier trois ouvertures béent, côte à côte, vers un puits noir et obscur. Une seconde pression sur l’engin et les charges incendiaires se déclenchent.
         Le feu progresse rapidement. Au fur et à mesure de son ascension, il déclenche les autres charges et s’auto-alimente. La chaleur augmente. De proche en proche les matériaux du musée entament leur combustion.

         Le chronomètre est lancé, il a quinze minutes avant que tout ne s’effondre.

         L’alarme incendie se déclenche. En temps normal une alerte automatique aurait dû retentir dans le poste de pompiers le plus proche mais un petit sabotage a bloqué cette fonction.
         Quand on veut faire un beau feu on se débrouille pour retarder l'arrivée des secours.
         Le signal est une voix féminine douce et rassurante. C'est un choix logique dans un bâtiment public. Cela évite la panique. Quand le message annonce qu’il vaut mieux éviter d’emprunter les ascenseurs, monsieur Duncan ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire.
         Côté musée il ne reste plus âme qui vive à évacuer. En ce qui concerne l’usine la procédure est claire : tout le monde évacue les lieux et se retrouve sur le parking du personnel. Seuls les agents de sécurité vont vérifier le foyer et voir s’il est possible d’intervenir. Depuis la catastrophe de Rio, il y a deux ans, les consignes de sécurité sont appliquées à la lettre quand un ordre d'évacuation est lancé.
         Les deux gardes arrivent en moins d’une minute trente. En ouvrant la porte ils constatent le feu et la fumée qui s’échappent par les portes grande ouvertes de l’ascenseur au bout du couloir. Ils se précipitent vers le poste de sécurité et sont abattus au moment où ils découvrent leurs collègues.

         C’est parti. Il reste treize minutes vingt.

         Dans l’usine la progression est lente. Il faut s’assurer, au fur et à mesure qu’on avance que le personnel a bien évacué les lieux. Les éventuels retardataires seront éliminés avant qu’ils puissent donner l’alerte.
    Coup de chance pour les intéressés, ils ont eu le bon sens de suivre les consignes. Les locaux sont vides. S’ils sont aussi disciplinés pour les autres consignes, ils n’appelleront pas les secours afin de ne pas encombrer inutilement les lignes d’alerte.
    Rez-de-chaussée. Il reste onze minutes. Il entre dans une des salles de production. Une vingtaine de corps sont alignés dans cette pièce, allongés sur des matelas anti-escarres. Des machines de la taille d’un gros camping-car sont branchées  dans le prolongement de leur cou.
         Il s’approche d’un mâle. D’un geste vif il sort de son sac à dos un petit conteneur. Une fois ouvert, ce dernier libère une vapeur dense qui retombe mollement sur le sol en épaisses volutes.  Avec des mouvements vifs et précis, les organes génitaux sont sectionnés et remisés dans le récipient. Sur son support, le néolion se vide lentement de son sang. Les artères tranchées propulsent en l’air de petits jets d’un rouge brillant.

         Il reste dix minutes.

         Cela sera à peine suffisant. Il va falloir faire vite et bien. Monsieur Duncan se précipite deux couchettes plus loin sur une néolionne.
         Alors qu’il est occupé à garrotter vigoureusement chaque membre de l’animal, il est interrompu par un bruit de pas. Non, trois bruits de pas ! Ce sont des pompiers ! Flûte! Quelqu’un s’est rendu compte que quelque chose clochait. Ils passent devant la porte et s’éloignent. Les employés ont dû se rendre compte que les gardes n’étaient pas sortis. Les secours vont tenter de vérifier s'ils sont sauvables.
         Il ne faut jamais tuer les pompiers. Cette corporation ne laisse pas mourir ses hommes. S'ils en perdent, d’autres sont envoyés à la rescousse. Un peu comme quand on tape sur une fourmilière. On n’a pas fini de se débarrasser des premières qu’une centaine sort de nulle part pour les remplacer.
         Rapidement le bruit de leurs pas décroît. Ils reviendront bientôt dans l'autre sens.
    Le message vocal de l’alarme, diffusé en boucle depuis le début de l'incendie, cesse au milieu d’une phrase. Visiblement le central de sécurité vient de succomber sous les assauts du feu.
         Une fois les garrots solidement serrés, les quatre membres sont amputés, d’un lourd coup de tranchoir. Tombant lourdement sur le sol, ils sont poussés plus loin d’un coup de pied. Ce serait dommage de tout faire rater en trébuchant dessus ou en glissant dans une flaque de sang. L’outil qui a servi à leur amputation les rejoint sans plus de cérémonie.
         Sur les quatre moignons, le cyborg vaporise un coup de son étrange mousse cicatrisante. Rapidement cette dernière vire au rosâtre. Quelques emballages stériles sont prélevés dans le sac à dos. Monsieur Duncan en sort des petits dispositifs médicaux, à mi-chemin entre le préservatif et le bonnet de bain. Il en coiffe chaque moignon avant de poursuivre sa tâche.
         Jusque-là tout va bien. La machine reliée à l’animal ne s’affole pas. Quelques voyants témoignent d’un stress, mais cela semble rester dans des normes acceptables vu qu’aucune alarme ne retentit.
         Les pompiers repassent dans l’autre sens. D’après les bribes d’informations qu’il entend au passage, le foyer est devenu incontrôlable et les équipes de sécurité n’ont pas pu être retrouvées. Leurs ordres sont d’évacuer les lieux et de sécuriser la zone pour les civils regroupés à l’extérieur. Pas le temps de fouiller le bâtiment. Ils ont raison. Dans moins de cinq minutes tout devrait s’effondrer.
         C’est en tout cas ce que donnent les simulations informatiques les plus pessimistes. Mieux vaut toujours prévoir qu’un incendie ira trop vite, c’est le meilleur moyen qu’il ne vous surprenne pas. Avec un peu de chance il y aura un peu de rab de temps mais vaut mieux être prudent avec les marges.
         La phase délicate de l’opération commence. D’abord sortir le matériel. D’un geste de la main, la petite table de soin est balayée. Rapidement, le contenu du sac à dos est étalé : sangles, tubes flexibles, instruments tranchants, la dernière bombe de spray cicatrisant...
    Le corps amputé est si léger que c’est sans aucune difficulté que monsieur Duncan le soulève pour passer les sangles dessous. Il s’agit de longues bandes velcro. Dans une pantomime d’accouplement grotesque, il s’allonge sur ce qui reste de la femelle. Jouissant de la capacité de mouvoir ses articulations à contresens, il referme les liens dans son propre dos, se solidarisant à sa victime. Ses mains se révèlent aussi agiles alors que ses ongles se retrouvent à la place qu’occupe habituellement la pulpe et que le dos de sa main se transforme en paume.

         Il reste quatre minutes.

         Il va falloir faire vite. A plat ventre, il tire de son emballage un des scalpels et entaille son avant-bras gauche sur toute sa longueur. Il en tire deux tuyaux translucides qu’il clampe deux fois chacun. La couleur est sans équivoque : rouge vif pour l’artère et rouge sombre pour la veine.
         Il tranche chaque tuyau entre les deux clamps. C’est à peine si le sang perle. C’est aussi bien  car il faut éviter de faire rentrer de l’air dans le circuit sanguin. Les deux extrémités du côté de la main sont raccordées au moyen d’un petit embout stérile. Elle n’est pas tout à fait isolée de la circulation, d’autres veines et artères l’irriguent encore un peu, mais elle prend néanmoins une teinte cyanosée due au manque d’oxygène.
         Sur le moignon de cou de l’animal, il isole l’artère et la veine qui le relient à la machine. Une fois tranchées elles sont raccordées aux vaisseaux extraits de son propre bras. Les clamps sont ôtés et la circulation reprend, passant de son corps à l’animal et inversement. La compatibilité totale de ces animaux rend cette pratique sans risque.

         Il reste trois minutes

         Le plus dur est encore à faire. Sa main gauche toute ensanglantée devient flasque tandis qu’un claquement retentit. L’articulation du coude se déboîte. De la main droite il tire sur l’autre membre pour sortir l’os de métal de son articulation de nano-fibres. Une fois la désarticulation effectuée, un écheveau de filaments palpitant s’échappe du manchon de nano-fibres : ils ressemblent à de fins tentacules de mercure battant librement à l’air libre, à la recherche de quelque chose sur quoi se connecter.
         Au bout du lit la machine s’affole. Des signaux d’alerte s’allument pour signifier un souci avec la circulation sanguine. Si cette mécanique s’alarme pour si peu, elle va hurler pour ce qui suit. D’un geste brusque le long câble branché dans le prolongement de la moelle épinière est arraché.
         Les voyants de la machine se mettent aussitôt presque tous au rouge et des alarmes retentissent. Inutile de tenter de la faire taire : elle est censée ne jamais tomber en panne. A moins d’une grosse bombe rien ne l’arrêtera. Il va falloir supporter le bruit.
    Il reste une minute trente.
         Les filaments de l’IA se dirigent vers la plaie et s’y fichent les uns après les autres, plongeant dans la chair puis se rétractant puis replongeant derechef avec une sorte de frénésie.
         Pendant ce temps, monsieur Duncan arrache le tube qui alimente l’animal en air et le remplace par un autre, plus court, directement en prise à l’air libre.
    L’animal a cessé de respirer.
         Les filaments continuent de plonger et replonger. Ils sont plus fins que des cheveux. Au fur et à mesure de leurs explorations la chair de l’animal se met à trembler. Les moignons s’agitent et la convulsion se généralise tandis que le contrôle se fait plus profond.
    La fumée commence à envahir la pièce. Le temps est écoulé. L’animal ne respire toujours pas. Impossible de changer de position tant que la connexion avec la respiration n’est pas faite.
         Trente secondes de retard. Toujours pas de respiration. Des craquements sinistres se font entendre loin derrière. L’effondrement commence doucement. Ce n’est qu’une question de secondes.

         Quarante secondes après délai.

         La fumée ambiante pénètre par le tuyau. L’animal respire. Aussitôt, un filtre respiratoire est placé sur l’embout pour protéger de la poussière et la fumée.
         Il faut sortir. Vite. Monsieur Duncan se lève, déséquilibré par son fardeau il lui faut quelques secondes pour trouver son nouvel équilibre.

         Une minute dix après délai.

         Il arrive dans le hall d’entrée. Les portes sont grandes ouvertes. La lumière est éteinte. Dehors, une foule de badauds lui coupe la voie. Ils sont rassemblés de l’autre côté du cordon de sécurité placé par les pompiers. Sans doute les employés évacués.
       
         Une minute quinze après délai.

         Le musée s’effondre. Il projette au travers de l’usine un vaste nuage de poussière et de gaz chauffés qui ressort par les vitres et les portes. Monsieur Duncan est projeté vers l’extérieur dans un nuage noir et brûlant. L’arrière de son corps est chauffé bien au-delà de ce que peut endurer la peau humaine. Heureusement, le tissus ignifuge de sa combinaison protège un peu l’essentiel de sa peau. Camouflé par l’épaisseur de la nuée, il franchit l’attroupement qui, dans un réflexe salutaire, s’est détourné pour éviter les projections. Le timing est parfait.
         Le courant est coupé dans tout le secteur. Alors que les spectateurs se tournent vers le désastre pour constater son ampleur, le cyborg continue sa course dans leurs dos. Quelques secondes plus tard, alors que l’usine s’effondre à son tour, il pénètre dans une camionnette garée non loin de là. Cette dernière démarre aussitôt et rejoint la circulation. Quelques pâtés de maisons plus loin, l’éclairage public fonctionne à nouveau.  Le véhicule croise quelques forces de secours appelées en renfort.

         Dans l’habitacle, monsieur Duncan contrôle la douleur. Il perçoit les informations que lui transmet sa peau, mais tâche de rester impassible. L’arrière de son crâne le lance. Les brûlures doivent être impressionnantes. Le docteur va avoir du travail.


         Le chauffeur est bien briefé. Il doit conduire la camionnette dans une maison de proche banlieue dont le garage est ouvert. Puis il sortira du véhicule, fermera la porte derrière lui et ira chercher la seconde moitié de l’argent à l’endroit convenu. Ce n’est pas la première fois qu’il accomplit ce genre de travail et il s’est toujours montré fiable. Il y a des gens qui savent apprécier une opportunité quand ils en voient une et ne vont pas tout gâcher en cherchant à comprendre le pourquoi des choses. Quand on apprécie les fruits, on ne déterre pas l’arbre pour regarder ses racines.
         La camionnette ralentit. Une secousse quand elle escalade le trottoir. Puis le moteur qui se coupe. Le mouvement imprimé aux suspensions par le poids d’un homme qui descend.      Une porte qui claque. Puis le bruit rassurant de la porte du garage.

    « C’est bon vous pouvez sortir, il est parti.
    - Ravi de vous entendre Doc. Vous allez avoir du travail. J’ai l’animal. Il va falloir aussi soigner quelques plaies sur mon crâne : des brûlures et des éclats de verre.
    - Une chose à la fois, cher patient. Quelles sont les priorités dans un premier temps ?
    - Combien de temps mon bras peut-il tenir sans circulation sanguine?
    - Pour le commun des mortels, je dirai six heures, mais dans votre cas particulier on doit plus être proche de la douzaine. Il faudra correctement purger le circuit..
    - Alors la priorité est à l’animal. Si vous pouvez juste faire quelque chose en vitesse pour mon crâne, nous partons ensuite.
    - Quelle direction ?
    - Le port, docteur. Notre commanditaire y possède un bateau. Je l’ai piégé moi-même, nous serons les seuls à pouvoir y pénétrer sans tout faire péter.
    - Et ensuite ?
    - Il y a une machine de survie installée sur le bateau. Il va falloir relier le néolion dessus, s’assurer qu’il survive et me remettre en état. Nous avons des vivres pour une semaine mais j’aimerais bien que nous ayons fini en deux jours.
    - Ca devrait pouvoir se faire. J’imagine que nous allons nous relayer pour surveiller notre patient.
    - Vous imaginez bien, docteur.
    - Et après ?
    - Une fois que l’animal est stable, je vous fais sortir et je fais entrer le client pour qu’il vérifie la marchandise et me paye. Une fois que je suis en sécurité, je l’appelle pour lui confier les codes de désamorçage. Ses hommes montent à bord et il file vers les eaux internationales. Vous recevrez votre part quelques jours plus tard, comme d’habitude.
    - D’accord. Regardons tout de suite votre crâne et en route alors. »

         Dix minutes plus tard, la camionnette reprend la route.

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  • Commentaires

    1
    Marquise de Miaoucha
    Samedi 22 Octobre 2011 à 16:23

    Extrait :


     


    Il parait que la lumière du jour aide les agent à rester alertes.
    En tout cas permet un angle de tir idéal sur les gardes en question. Un débutant arriverait à les tirer comme des lapins.


     


    Dans la seconde phrase qui commence par "en tout cas", il ne manquerait pas le sujet ? La phrase est un peu déséquilibrée.


     



         Monsieur Duncan dépose au sol sa guimbardine -> gabardine !


     


    Le bruit de l’alarme cesse au milieu d’une phrase -> Quelle phrase ? Qui parle ? Toujours la voix féminine de l'alarme ? Je pense qu'il faudrait le préciser car j'ai mis un moment à faire le rapprochement.


    Juste une petite remarque : quand le 3e gardien arrive, tu écris qu'il est précédé de "quelques dizaines de ventre"...Ca fait pas un peu beaucoup quand même ?


    Pour les autres fautes (plus nombreuses que dans le chapitre précédent !! Attention, je vais sévir !!) je t'en parlerai de vive voix (ou de voix virtuelle...)


    Chapitre très dynamique, on se croirait vraiment au ciné devant un bon film d'action. J'adore !


    Je suis en train de lire un roman écrit par un auteur (un scientifique apparemment) qui n'a pas la moitié de ton talent pour rendre une scène vivante et claire, tout en étant intéressant, surprenant et passionnant !!


     


     

    2
    mikaroman Profil de mikaroman
    Lundi 24 Octobre 2011 à 00:14

    Merci, ton compliment me va droit au coeur.

    J'ai rectifié le texte en fonction de tes remarques. Effectivement c'est bien mieux, merci beaucoup.

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