• Chapitre 16 : Hémorragie

          Ca va faire une heure qu’Antoine est parti travailler, laissant Hélène seul au mobile-home. Combien de temps encore avant qu’il revienne ? La douleur est survenue d’un coup, sans prévenir. Le saignement a commencé peu après. Qu’est ce qu’il faut faire ? Ce n’est pas normal. Personne ne l’a frappée cette fois !
          Seule dans le lit, Hélène a honte et peur. Les draps et sa chemise de nuit sont tâchés de sang. Que va dire Antoine ? Sera-t-elle seulement encore en vie quand il reviendra ? Il n’y a personne pour donner l’alerte. Ce n’est pas la première fois que ça lui arrive. Les sœurs, plus fragiles que les frères, saignent de temps en temps de cette façon. L’odeur du sang agite ceux qui sont dans les cages environnantes. Les gardes donnent des médicaments et les choses rentrent dans l’ordre. Mais maintenant il n’y a plus de gardes. Pourvu qu’Antoine arrive à temps pour la sauver !

          Les poils de son entrejambe sont poisseux. Le sang coule le long de ses jambes. Il y a des tâches partout où elle s’assoit.
          Autant pour stopper l’hémorragie que pour rester dans une relative propreté, Hélène cale une épaisse serviette de toilette entre ses cuisses et serre le plus fort qu’elle peut. Elle a vu ça dans un film. Il faut comprimer la plaie.
          Ca fait mal !
          Pliée en deux par la douleur, la jeune femme se réfugie dans le lit, maculant un peu plus les draps déjà rougis.

          Les heures passent, partagées entre la terreur et la souffrance.

          Dès son retour, Antoine remarque que quelque chose ne va pas. Hélène se terre sous les couvertures. Elle tremble visiblement. Morte de peur. Ses doigts ensanglantés sont agrippés au tissu.

    - Qu’est-ce qui se passe ? Tu es blessée ? Quelqu’un est venu ? Ce sont des chiens ?

          Mais comment veut-il qu’elle puisse répondre s’il pose autant de questions ?!

    - Montre-moi où tu es blessée !

          C’est un ordre ? Ca n’y ressemble pas. Il a l’air aussi effrayé qu’elle. Lentement, la néolionne se découvre et remonte sa chemise de nuit, révélant le pansement de fortune que constitue la serviette roulée en boule.
          La réaction d’Antoine est étrange. Son visage rougit sans qu’il se mette en colère. Sans parler, il rabat la chemise de nuit et remet la couverture en place.

    - C’est la première fois que ça t’arrive, demande-t-il d’un air gêné ?

          La néolionne fait un signe négatif de la tête pour répondre.

    - Plusieurs fois, j’imagine…

          Cette fois-ci la réponse est positive.

    - Très bien. Tu peux te rassurer. Je ne pense pas que ce soit grave.

          Pas grave ?! Son ventre la tord de douleur. Elle saigne sans raison. Et ça ne serait pas grave ?!!! Qu’est-ce qu’il lui faut ?

    - Je vais te donner quelque chose contre la douleur

          En voilà une bonne idée !

    - Je crois que ce sont tes règles.

          Mes quoi ?
          Toute honteuse de devoir signer avec ses mains pleines de sang, la néolionne exprime rapidement son incompréhension.

    - Comment je vais t’expliquer ça ? Bon sang ! Si le docteur était là…il t’embrouillerait sans doute encore plus avec ses explications, finit par conclure le jeune homme dans un sourire contagieux.

          D’un placard, il tire une boite de calmant, en tend deux à sa protégée. Puis il remplit un verre d’eau.

    - Tiens. Prends ça. Ca va faire passer la douleur. Je te propose le plan suivant : tu enlèves ta chemise de nuit pour que je puisse la laver. Tu files sous la douche et on en reparle ensuite.
    Je vais remplir une de tes culottes avec du coton et demain j’irais te chercher des serviette hygiéniques.
    Ne me regarde pas avec ces yeux rond. Promis, je t’explique tout dès que tu es propre.

          Aussitôt les gélules avalées, la néolionne se dévêt, oubliant sa pudeur toute neuve, et se précipite à la salle de bain.
          En y réfléchissant, c’est la première fois, depuis qu’elle sait s’habiller seule, qu’il la voit ainsi nue. Malgré le sang qui macule ses poils elle est d’une beauté renversante. Sa fourrure, plus claire là où elle était blessée, souligne avec élégance les lignes de son corps.

          Alors qu’il remplit la machine à laver de tout le linge sale possible, Antoine ne peut s’empêcher d’angoisser à l’idée de devoir faire l’éducation de la jeune fille. Comment s’y prendre ? Il n’est pas son père ni sa mère !



          Une fois propre et vêtue de vêtements propres, dont une culotte amplement rembourrée, la néolionne s’installe sur le canapé. Il est temps de savoir ce qui lui arrive. Qu’est ce qui a bien pu la blesser aussi fort sans qu’elle sans rende compte ?

          Antoine, se racle la gorge avant de commencer.

    - A la télévision tu as déjà vu des bébés, des petits êtres humains. Tu ne t’es jamais demandé comment ils venaient au monde ?
    - Je n’y ai jamais pensé, avoue la jeune femme en langage des signes.
    - Alors voilà : quand un homme et une femme veulent avoir un enfant…. Ils…. Heu…. C’est pas plus évident après la douche en fait.

          Antoine change nerveusement de position avant de poursuivre

    - Les hommes et les femmes possèdent des organes, des bouts de viande, qui leur permettent de se reproduire. Un peu comme les muscles qui permettent de bouger ou les dents qui servent à manger ou les yeux pour voir.
          Pour faire un bébé il faut un homme et une femme. Ils ont tous les deux des organes complémentaires pour faire les bébés. C’est ce qu’on appelle le sexe. Quand un couple veut faire un bébé, l’homme met son sexe dans celui de la femme. A l’intérieur du ventre de la femme, il y a un organe qui sert à faire grandir les bébés.

          Pourvu qu’elle comprenne du premier coup, se dit le jeune homme qui se voit déjà passer la soirée à expliquer des détails de plus en plus précis.

    - Pour qu’il y ait toujours du matériel à bébé en bon état, la nature s’est débrouillée pour qu’il soit  renouvelé régulièrement. Dans le corps des femmes, les organes fabriquent, tous les mois environ, un œuf et un nid. Les bébés poussent dans le ventre de la maman alors il ne faut pas qu’il y en ait trop sinon ils seraient trop serrés.
          Lorsque l’œuf est libéré dans le corps de la femme, le nid est prêt. Si l’œuf n’est pas fécondé par l’homme, alors il ne devient pas un bébé. L’œuf et le nid sont rejetés par le corps de la femme.
          C’est ça qui t’arrive. Tout ce sang qui coule, c’est le nid qui part. Plus tard ton corps en fabriquera un autre pour l’œuf suivant. C’est tout à fait normal. Tu comprends ?

          La néolionne hoche la tête, puis elle agite les mains pour poser une question.

    - Attends ! Pas si vite Hélène ! C’est quoi ce mot ? Je ne connais pas.

          Aussitôt, la jeune femme se lève et file chercher son dictionnaire, le feuillète rapidement puis l’ouvre à la bonne page avant de le déposer sur les genoux d’Antoine et de lui pointer le mot en question.

    - Faire l’amour ? C’est ça ton mot ? Oui c’est ça faire l’amour. C’est comme ça qu’on fait les bébés.
    - Mais dans les films ils font l’amour et souvent et ils n’ont pas toujours des bébés, dit elle par gestes.
    - Oui, parfois les gens font l’amour juste pour le plaisir… parce qu’ils s’aiment, finit-il par lâcher.
    - Tu m’aimes ?

          Aïe. La question encore plus gênante que « comment on fait les bébés » ! Le genre de question où on n’a pas intérêt à louper la réponse. Si elle manque de romantisme, cette interrogation brille en revanche par sa sincérité. Compte tenu de la discussion précédente, elle tombe de façon plus qu’orientée. Hélène n’est pas bête. Loin de là ! Elle ne sait pas encore bien parler, mais elle sait très bien ce qu’elle veut.
          Antoine sait pertinemment que c’est une question qu’elle ne posera qu’une fois. Quelle que soit la réponse qu’il fournira, elle se la tiendra pour dite,
          La situation n’est pas simple. C’est une néolionne bon sang ! Il ne pourra jamais l’emmener faire les courses dans les magasins. Il ne pourra jamais la présenter à des amis ou ses parents. Si jamais elle est découverte elle sera traitée comme un animal, comment pourra-t-il se présenter comme l’amant de la bête ?
          Et puis après tout… Elle n’est pas une bête. Elle est humaine. Ca va faire deux semaines qu’elle occupe ses pensées du matin au soir. Il a changé de vie pour elle ! Chaque soir, il est pressé de rentrer au mobile-home pour passer du temps avec elle. Il marcherait sur les mains pour la faire sourire. Il ne s’est jamais senti aussi important que depuis qu’elle compte sur lui.
          En y réfléchissant bien, jamais encore il n’avait autant tenu à quelqu’un de toute sa vie. C’est dingue qu’il ait fallu qu’elle pose cette question pour qu’il s’en rende compte. Comment a-t-il pu être aussi aveugle ?
    Ce que pense le reste du monde n’a aucune importance finalement. Si elle veut bien de lui alors tout le reste s’efface. Elle ne sait pas réellement qui il est, mais lui non plus ne se reconnaît pas depuis qu’il la connaît. L’homme qu’il découvre ne semble pas être un si mauvais bougre que ça. S’il le faut, il deviendra quelqu’un de mieux encore !
     
    - Je crois bien que oui. Je ne sais pas si c’est bien ou pas mais oui, je crois que je t’aime.

          Ce n’est pas exactement le genre de déclaration enflammée qu’il aurait voulu faire, mais c’est elle qui a fixé le niveau de romantisme avec sa question à brûle pourpoint.

          Un long silence s’installe alors entre eux tandis que leurs regards se rivent l’un à l’autre. Les mains d’Hélène quittent ses genoux et se posent sur celles d’Antoine. Doucement, leurs front se rapprochent puis se touchent. Leur têtes glissent pour se blottir contre l’épaule de l’autre. Leur étreinte se fait plus forte.
          Hélène veut absolument savoir quelque chose. Elle s’écarte un peu, relève le visage d’Antoine et l’embrasse. D’abord surpris, celui-ci répond à ce premier baiser maladroit. Elle y répond en retour. Elle apprend vite, c’est incroyable. C’est une drôle de sensation de sentir ses crocs tandis que leurs langues se rejoignent. Peu importe, c’est tout simplement phénoménal !

          Dans le ventre de la jeune femme, la douleur se tait. Dans sa poitrine le cœur bat à tout rompre.
          Ainsi, c’est ça être aimée ?

    « Chapitre 15 : Hélène Chapitre 17 : Repos »

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :